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Le mot de la Présidente

Tristes lettres de noblesse que celles gagnées par la drépanocytose : enfin sortie de l’anonymat, elle est officiellement reconnue « priorité de santé publique », une journée internationale, le 19 juin, lui est maintenant consacrée, mais dans notre pays, la première maladie génétique en Île-de-France continue de se débattre avec son étiquette de « maladie rare ».

En tant que présidente de l’Association Pour l’Information et la Prévention de la Drépanocytose (APIPD) je ne peux que me réjouir de ces avancées. Pourtant, une profonde amertume étouffe l’élan de l’association : 32 ans après sa création, les hommes et les femmes au service des malades et de leurs familles, sont pieds et poings liés. Leurs actions sont entravées par l’absence de subventions à la hauteur du défi.

Des milliers d’adhérents et de bénévoles, et aucun vrai local pour accueillir, accompagner, soutenir les malades de la drépanocytose et leurs familles. Une utopie me direz-vous…, peut-être, mais une utopie devenue relais d’une volonté collective !

L’association n’a pas à rougir de ses bilans successifs. Nous n’avons eu de cesse de bousculer les différents gouvernements afin qu’ils sortent de leur léthargie. Ils ignorent que la drépanocytose détient un passeport universel parce qu’elle est apatride et syncrétique : sans nationalité, sans religion. C’est un caméléon qui s’adapte à tous les environnements.

La drépanocytose est à l’aise partout. Preuve en est que 50 à 150 millions de personnes, dans le monde, sont touchées. On dénombre plus de 26 000 malades en la France et plus de 150 000 porteurs sains ; la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane recensent, respectivement 2 000, 1 500 et 2 000 drépanocytaires.

Au mépris de ces données chiffrées, le gouvernement refuse d’assumer sa responsabilité notamment en matière de ciblage ethnique. La drépanocytose reste confinée dans ce ciblage ethnique, ce qui est non conforme à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Au nom de l’APIPD et de tous les malades atteints de la drépanocytose, j’ai saisi le défenseur des droits en novembre 2017, afin que le dépistage néonatal systématique soit étendu à l’ensemble de la France métropolitaine. Dans sa réponse adressée à l’APIPD, le défenseur convient aisément de la pertinence d’un dépistage néonatal systématique en France métropolitaine et considère même que « le maintien d’un dépistage ciblé de la drépanocytose est contestable en l’état actuel des connaissances » et qu’il a même « des conséquences médicales majeurs ». Il reconnait également que les dépistages ciblés « tendent à stigmatiser certains groupes de la population » et surtout qu’ils « pourraient être de moins en moins efficaces au vu des brassages de population en France métropolitaine. »

Le principe d’iniquité sous-jacent au ciblage ethnique est ainsi explicitement reconnu sans pour autant que cela n’aboutisse encore à une révision de cette pratique discriminante.

Ajoutons à cela que la drépanocytose n’a pas droit de cité en facultés de médecine, qu’on lui refuse toute campagne de sensibilisation à grande échelle à l’inverse d’autres maladies. C’est l’APIPD qui assure seule la sensibilisation, sans aucune enveloppe dédiée à cette maladie, toujours injustement appelée « maladie des noirs. »

L’ancienne Ministre de la Santé, à l’époque Présidente du collège de la Haute Autorité de Santé, avait déjà avancé que la drépanocytose n’était pas rentable et que la HAS n’envisageait pas un dépistage universel de la population naissante en France.

Malgré l’amnésie apparente des décideurs de tout poil et au-delà du désintérêt général, moi, Jenny HIPPOCRATE, maman d’un enfant drépanocytaire, je ne baisserai jamais la garde et renouvelle mon engagement corps et âme dans cette lutte sans merci contre ce fléau.

Quelle est la situation actuelle ? Que faisons-nous de tous ces enfants défavorisés, qui éprouvent tant de difficultés à suivre une scolarité normale ? Souvent en échec scolaire, à cause d’un absentéisme fréquent (hospitalisations longues, crises à répétitions, fatigabilité…). Ils sont traités de paresseux alors qu’en réalité, ils sont sous l’emprise de la fatigue parce que leur taux d’hémoglobine est inférieur à la normale. Ils sont encore considérés comme des parias.

Et que dire des adultes drépanocytaires qui sont diminués physiquement et psychologiquement, traités eux aussi de fainéants, dans la mesure où ils ne peuvent pas exercer la profession de leur choix, pour cause de « contre-indication » à la maladie.

Ces observations n’ont pour unique objectif que d’attirer l’attention de chacun d’entre nous sur l’avancée inexorable de la drépanocytose.

Si nous ne réagissons pas vite et sérieusement, nous n’aurons plus qu’à compter nos morts : un père, une mère, un ami, une sœur, un frère…

Jenny Hippocrate Fixy