Épidémiologie

C’est la maladie génétique monogénique (liée à un seul gène) la plus répandue dans le monde. Selon l’OMS, 300 000 enfants naissent dans le monde chaque année avec une anomalie majeure de l’hémoglobine dont la plus fréquente est celle de la drépanocytose. En 2015, la grande majorité de ces naissances ont lieu dans trois pays : Nigéria, République Démocratique du Congo, Inde.

L’allèle « S », responsable de l’anomalie, est surtout répandu dans le continent africain (avec une fréquence de 30% chez certaines populations) ; on le trouve également en Inde, en Arabie saoudite et dans d’autres régions du bord de la Méditerranée, en Italie (surtout en Sicile), en Grèce et en Anatolie. Les migrations ont accru la fréquence de cette maladie sur le continent américain.

Cette distribution se superpose assez bien avec celle d’une autre maladie d’origine infectieuse, le paludisme ou malaria, à Plasmodium falciparum (forme la plus grave de paludisme).

La présence élevée de cette maladie, le paludisme, en Afrique semble être un cas de polymorphisme génétique équilibré entraîné par une sélection naturelle. En effet, les personnes porteuses saines hétérozygotes (AS) et les enfants drépanocytaires sont relativement protégées contre P. falciparum. La preuve épidémiologique de cette protection a été apportée par plusieurs études depuis 2002.

L’apparition et la sélection de cette mutation se sont faites en différents points du monde, coïncidant avec les zones d’endémie du paludisme. Ces événements se seraient produits entre 70 000 et 150 000 ans. Parmi les différents haplotypes connus (ensembles de gènes liés), 5 seraient survenus de façon indépendante : haplotype Sénégal (côte atlantique de l’Afrique de l’Ouest), haplotype Bénin (golfe du Bénin), haplotype Cameroun, haplotype Bantou (Afrique équatoriale), haplotype Arabo-indien (Inde et péninsule arabique). Mais la grande majorité de ces naissances survient en Afrique subsaharienne et en Inde. Elle est aussi fréquente autour du bassin méditerranéen (particulièrement Grèce et Italie) et au Moyen-Orient.

Par le commerce des esclaves ou les migrations, elle est présente aux Amériques (surtout États-Unis et Brésil) et en Europe occidentale. En France, c’est aussi la première maladie génétique, par les territoires d’Outre-Mer (Antilles françaises), les flux migratoires (principalement africains) et par la qualité des soins (meilleure espérance de vie des patients). La drépanocytose soulève de nombreuses questions médico-sociales concernant sa prise en charge (dépistage, prévention, traitement et accès aux soins) aussi bien sur le plan technique que sur les plans économiques ou éthiques.
 

En Afrique

Fréquence de l'allèle drépanocytaire

Dans certaines parties de l’Afrique subsaharienne, la drépanocytose touche jusqu’à 2% des nouveau-nés. La fréquence du trait drépanocytaire, c’est-à-dire le pourcentage de porteurs sains qui n’ont hérité du gène mutant que d’un seul des parents, atteint 10 à 40% en Afrique équatoriale, 1 à 2% sur la côte de l’Afrique du Nord et moins de 1% en Afrique du Sud. Dans les pays d’Afrique de l’Ouest (Ghana et Nigeria), la fréquence du trait drépanocytaire atteint 15 à 30%. En Ouganda, cette fréquence atteint 45% chez les Baambas. Dans ces pays africains, la mortalité des enfants de moins de 5 ans atteints de drépanocytose peut atteindre les 90% (malnutrition et pauvreté, manque de dépistage et de vaccinations), alors que dans l’ensemble des pays mondiaux à bas-revenus, la mortalité infantile (toutes causes) a été réduite depuis les années 1990-2010.
 

Aux Amériques

Le commerce des esclaves et les migrations plus récentes ont accru la fréquence de cette maladie sur le continent américain. L’hémoglobine « S » est absente chez les amérindiens, les populations originaires d’Europe du nord et d’Océanie, alors qu’elle est relativement fréquente chez les Afro-Américains, en particulier ceux des États-Unis, du Brésil et des Caraïbes.

Aux États-Unis, le nombre de malades est estimé à 100 000 personnes. Un taux analogue est retrouvé au Brésil. La maladie est absente en Alaska, et dans quelques pays d’Amérique du Sud sur la façade du Pacifique (Équateur, Pérou, Bolivie, Chili). Ailleurs, la situation est intermédiaire (Canada, Amérique centrale, Argentine).
 

En Europe

Fréquence en Angleterre et en France

Dans plusieurs pays ou régions d’Europe (sud de l’Italie, Grèce, Albanie), la drépanocytose est indigène avec des fréquences de porteurs du trait entre 1 et 5% de la population.

Dans d’autres pays européens (Royaume-Uni, France, Belgique, Allemagne), les flux migratoires, à partir des années 1960, en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, ont été à l’origine d’un accroissement des cas diagnostiqués, variable selon les spécificités historiques de chaque pays.

Dans la péninsule ibérique, les cas de drépanocytose majeure étaient encore rares en Espagne dans les années 2000, mais tendent à augmenter avec une immigration récente. Au Portugal, dont l’histoire coloniale est plus ancienne, les études génétiques ont décelé deux vagues d’immigration apportant la mutation drépanocytaire : l’une entre les VIIIe et XIIIe siècles venant de méditerranée, une autre à partir du XVe siècle venant d’Afrique. La mutation s’est diluée dans l’ensemble de la population portugaise actuelle.

En Belgique, l’incidence moyenne de la drépanocytose est de 1/1 710 sur l’ensemble des nouveau-nés à Bruxelles et de 1/943 à Liège.

En Allemagne, seuls 300 cas de syndromes drépanocytaires majeurs sont recensés.
 

En France

Les premiers cas de drépanocytose ont été rapportés en métropole entre les années 1940 et 1950. Ces cas concernaient presque uniquement des personnes d’origine antillaise. Le premier mouvement migratoire fin XIXe – début XXe siècle en provenance d’Europe du sud n’a pu être dépisté.

Après la décolonisation des années 1950-1960, survient un deuxième mouvement migratoire provenant d’Afrique et du Sud-Est asiatique. Des études ponctuelles de dépistage sont alors menées à partir des années 1970, dans plusieurs régions. Entre autres, en 1977, un dépistage systématique de la population scolaire de la région marseillaise sur plus de 35 000 élèves, a permis d’établir que 0,22% étaient porteurs du trait drépanocytaire, tous issus de familles originaires de pays à risques, parfois vivant en France depuis 5 générations (pour les Italiens du Sud).

En France, la drépanocytose est la maladie génétique la plus fréquente (1/1 900), loin devant la mucoviscidose (1/5 989). On estime alors près de 26 0000 le nombre de sujets atteints de syndrome drépanocytaire majeur (SDM), avec en France métropolitaine un nombre supérieur à celui de l’Outre-mer (2 000 en Martinique et 1 500 en Guadeloupe). Chaque année, naissent en France 300 à 350 enfants atteints de syndrome drépanocytaire majeur (SDM) dont la plupart en Île-de-France.

 

Drépanocytose et paludisme

La drépanocytose est l’exemple type de maladie offrant un avantage hétérozygote par rapport aux formes les plus graves de paludisme, dues au plasmodium falciparum : les hétérozygotes AS bénéficient d’une protection estimée entre 60 et 80% contre ce paludisme, ce qui signifie qu’ils ont une susceptibilité réduite à cette infection, et qu’ils présentent des symptômes atténués lorsqu’ils sont touchés. Les homozygotes drépanocytaires SS, en revanche, sont encore plus vulnérables au paludisme que les personnes saines (homozygotes AA), au point que cette maladie est le principal déclencheur de crises drépanocytaires chez ces patients dans les zones impaludées.

Le mécanisme protecteur de l’hémoglobine S chez les hétérozygotes n’est pas entièrement élucidé. De façon générale, cette protection est due à l’interruption du développement du parasite à l’intérieur des globules rouges dans cycle érythrocytaire du parasite en raison de la durée de vie réduite des globules rouges et de leur plus grande fragilité. Le parasite ne peut se reproduire dans ces cellules lorsqu’elles se lysent prématurément, et peuvent difficilement digérer l’hémoglobine S lorsqu’elle est polymérisée, ce qui contribue encore à freiner son développement.

Compte tenu de l’avantage sélectif conféré par l’allèle S du gène HBB dans les zones impaludées, la prévalence de cet allèle y demeure élevée malgré le fort désavantage de la forme homozygote. C’est la raison pour laquelle cette mutation reste fréquente chez les personnes ayant une ascendance récemment issue d’Afrique, du bassin méditerranéen, d’Inde ou du Moyen-Orient ; le paludisme était également endémique en Europe du Sud jusqu’au milieu du XXe siècle, et n’y est plus présent qu’exceptionnellement, comme en Camargue, dans le sud-est de la France.